Tours, 27 rue du Cygne
L’hôtel du n°27 rue du Cygne se situe dans un îlot compris entre deux grandes rues parallèles à la Loire (rue Colbert ou autrefois la Grand-Rue et rue de la Scellerie), encadrées par deux rues plus modestes (rue des Cordeliers et la rue du Cygne ou autrefois la rue de Malyentras). La rue du Cygne conserve le tracé de l’enceinte du XIIe siècle qui la jouxtait à l’est [Liu, 2009, p. 4].
Jusqu’au XVIIIe siècle, cet îlot appartenait au fief du Péage et à la paroisse Saint Vincent [Liu, 2009, p. 11-12]. En 1786, la plus grande part de l’îlot était occupée par l’hôtel du Gouvernement dit hôtel de la Bourdaisière [AD 37, V/1.1.5]. L’hôtel du Cygne en occupait également une partie. Ces deux hôtels étaient donc voisins, séparés par une impasse qui partait de la rue du Cygne jusqu’à la cour de l’écurie de l’hôtel du Gouvernement. La liste des propriétaires ne remonte guère au-delà de Jacques Gatian de Vaudenière qui laissa séjourner les Ursulines de Tours dans son hôtel de 1619 à 1625 en attendant la construction de leur couvent [Liu, 2009, p. 13]. Aujourd’hui, l’hôtel du n°27 rue du Cygne se divise en plusieurs appartements tandis que la partie de l’hôtel donnant au n°22 rue des Cordeliers reste une propriété unifiée [Liu, 2009, p. 17-18].
L’hôtel du n°27 rue du Cygne adopte un plan usuel propre aux grandes parcelles : trois corps de bâtiments disposés autour d’une cour plus ou moins rectangulaire, elle-même séparée de la rue par un accès en retrait clôturé d’un portail. Le plan en U, orienté est-ouest, est formé par un corps de logis principal desservi par une tour d’escalier hors-œuvre polygonale et encadré par deux ailes en retour d’équerre. Ainsi, la construction du logis en cœur d’îlot induit l’allongement du parcours entre la rue et les espaces les plus privatifs. L’éloignement du logis vis à vis de la rue permet de le considérer comme un hôtel et non une simple maison, sans que l’on puisse pour autant présumer du statut social de son commanditaire, dont on ne connaît rien. Le décor des façades, qui ne sont pas visibles depuis la rue car masquées par le portail clôturant la cour, confèrent également un caractère ambitieux à la demeure [Guillaume, Toulier, 1983, p. 14-15].
Le logis principal s’élève sur quatre niveaux, un rez-de-chaussée sur cave, deux étages carrés et un étage sous comble. La tour d’escalier sépare la façade du logis en deux parties : une Travée à gauche et deux travées à droite. La partie gauche conserve des baies du XVe siècle tandis que celles des travées situées à droite ont été remaniées au XVIIIe siècle. Les autres façades sont masquées par la demeure au 22 rue des Cordeliers et par d’autres bâtiments adossés. Les ailes sud et nord possèdent trois niveaux : un rez-de-chaussée, un premier étage et un étage sous comble. L’aile sud conserve des décors sculptés dont une ancienne galerie, et au premier étage, trois fenêtres décorées de pilastres. Deux lucarnes en bois et des châssis à tabatière (Velux) éclairent aujourd’hui le comble. Toutefois, l’aile d’origine est réduite par l’installation d’un garage et d’une maison. L’aile nord a été remaniée en plusieurs appartements. Les caves de l’hôtel rue du Cygne donnent également accès sur le terrain de l’hôtel rue des Cordeliers, les parcelles des deux hôtels formaient dans le passé un seul ensemble [Liu, 2009, p. 24].
Le plan actuel ne comprend plus que le logis principal avec ses ailes et sa cour. Or, un contrat de vente de 1745 mentionne « un grand corps de logis se situe en cette ville susditte paroisse de Saint Vincent rue du Cigne, composé de plusieurs caves, cuisine, salles, chambres basse et hautes, cabinets, gardes robes, degrés pour le service lad(it) logis, greniers et comble dessus, écuries, un petit bâtiment à penty nouvellement construit au lieu à place d’une remise, à soust cour puits […] » et « un grand jardin communauté à une allée qui conduit dans la rue de la Scellerie » [AD 37, 3E1/884 ; Liu, 2009, p. 37]. Cette vente indique l’existence d’un jardin commun (aujourd’hui un parking) appartenant à cet ensemble. La vente de 1745 ne mentionne qu’un logis, l’adjudication 1764 mentionne quant à elle « deux grands et six petits corps de bâtimens, d’une grande et deux petites cours pavées et d’un très beau jardin, abec deux sorties sur la rue du Cigne et deux autres sur celle de la Scellerie » [AD 37, 2B/1342-1764 ; Liu, 2009, p. 37]. Il semble que l’hôtel du XVe siècle ait dans un premier temps été organisé entre cour et jardin. Puis au XVIIIe siècle, un nouveau corps de logis fut construit dans ce jardin, perpendiculairement à l’hôtel du XVe siècle. Le plan de 1786 [AD 37, V/1.1.5] montre que ces deux parcelles ont une disposition plus ou moins indépendante (une parcelle disposée autour d’un jardin et une autre autour d’une cour), la séparation entre l’hôtel rue du Cygne et l’hôtel rue des Cordeliers ne sera effective qu’en 1858 [Liu, 2009, p. 40]. Ainsi, débutent les divisions de la propriété. Si les archives et les plans permettent d’aborder l’histoire de la parcelle et l’évolution de sa morphologie, les maçonneries révèlent également plusieurs étapes de construction. La partie à gauche de l’escalier du logis principal est plus en saillie que celle de droite. Les assises de pierre de taille de la tour et du logis ne correspondent pas et son légèrement décalées, avec des épaisseur de joints très différentes (1 à 3 cm) [Liu, 2009, p. 20]. De plus, les murs de la partie gauche sont plus minces que ceux de la partie de droite [Liu, 2009, p. 26]. De même, la liaison entre le logis principal et l’aile sud interrompt les moulures de la fenêtre du premier étage du logis. La construction de cette aile est donc postérieure à celle du logis. [Liu, 2009, p. 27-28].
Les éléments du décor permettent une datation stylistique. Les principaux décors datant du XVe et XVIe siècles se trouvent dans le logis principal et l’aile sud. Les cheminées du logis sont caractéristiques du XVe siècle. Elles sont parées de colonnes surmontées de chapiteaux campaniformes et des moulures à chanfrein-double courent sur le faux-manteau [Liu, 2009, p. 30]. L’étage de comble, qui permet d’admirer la vue tant sur les jardins de l’hôtel que et sur la basilique Saint-Martin et la cathédrale Saint-Gatien, est pourvu de coussièges placés de chaque côté de la Lucarne de la façade ouest tandis que d’autres coussièges équipent la baie de la façade est [Liu, 2009, p. 31]. Des culots représentant un singe, des chiens couchés et un personnage ornent la vis d’escalier. Leurs corps ronds sont comparables aux culots de l’hôtel de l’Arbalète datant du XVe siècle.
L’ornementation de l’aile sud est caractéristique de la Première la Renaissance. Une galerie prenait place au rez-de-chaussée, seules trois arcades retombant sur des colonnes et ses écoinçons décorés de disques d’ardoise sont encore visibles. Les chapiteaux composites des colonnes comportent une corbeille couverte de feuilles de laurier. Ici, le sculpteur semble simplifier les feuilles d’acanthe et laisse une surface nue dans la corbeille feuillagée dont la taille est relativement courte par rapport à la crosse [Liu, 2009, p. 33].
Cette galerie fait écho à la galerie de l’hôtel de Beaune construite en 1518 et à celle de l’hôtel Gazil construit dans la seconde moitié du XVIe siècle dont le motif s’inspire des arcs de triomphe et dont l’exécution est moins maladroite que celle de l’hôtel rue du Cygne [Guillaume, Toulier, 1983, p. 19]. Entre le rez-de-chaussée et le premier étage, un bandeau reçoit une série d’ornements : un disque décoré au milieu d’une ardoise carré s’inscrit dans un losange lui-même encadré par des termes et deux cordons formant un rectangle. Vers le logis, côté ouest, le dernier losange est maladroitement interrompu, comme s’il avait été bûché. Les termes se composent d’un buste masculin dont le bas du corps, disproportionné par rapport au reste, se termine en prisme (habituellement, en architecture, d’imposants termes supportent les changements d’étage comme sur la façade de l’hôtel du Gouvernement datant des années 1530-1540 ou ceux du château de Chenonceau ajoutés par Catherine de Médicis [Chevalier, 1864, p. 4]. De plus, les termes se décalent légèrement par rapport à l’alignement des pilastres encadrant les fenêtres.
Le jeu de contraste entre la pierre blanche et l’ardoise noire – aussi utilisé pour orner les losanges des pilastres des fenêtres et de l’entablement – fait écho à l’art de Chambord et de l’hôtel de Beaune. Des consoles en agrafe, dont l’utilisation se diffuse rapidement autour de 1515, apparaissent au-dessus des fenêtres [Guillaume, 1994, p. 154]. En somme, la galerie de l’aile sud, nécessairement postérieure à 1530 d’après le décor de termes, illustre la persistance des formes qui apparaissent en 1518 et se diffusent dans les années 1520, avant de disparaître vers 1540 lorsque les ordres « classiques » empruntent à l’Antiquité et à la « Haute Renaissance » romaine devenant le moyen d’expression normal des bâtisseurs [Toulier, 1980, p. 107 ; Guillaume, 1994, p. 143]. Bien que remaniée, l’aile nord présente les restes d’une plate-bande, d’une arcade et d’un chapiteau. Mais, ici, son décor diffère de celui de l’aile sud par des motifs plus graciles sur la corbeille et une volute mieux proportionnée par rapport aux dimensions du chapiteau.
Des modifications que l’hôtel subit à partir du XVIIe siècle, on ne connaît presque rien. En 1622, les Ursulines aménagèrent une chapelle dans l’enceinte de l’hôtel [Liu, 2009, p. 14].
Bibliographie et sources
Archives départementales d’Indre-et-Loire (AD 37), 3E1/884 – La vente aux époux Levaigneur, 14 avril 1745.
Archives départementales d’Indre-et-Loire (AD 37), 2B/1342-1764 – L’adjudication, 1er septembre 1764.
Archives départementales d’Indre-et-Loire (AD 37), Plan de la ville de Tours, XVIIIe siècle, V/1.1.5.
Base POP, IA00071280.
Chevalier Casimir, Archives royales de Chenonceau […], Paris, J. Techener, 1864.
Clérambault Édouard Gatian de, « Tours qui disparaît », dans Mémoires de la Société archéologique de Touraine, T. 5, 1912.
Guillaume Jean, Toulier Bernard, « Tissu urbain et types de demeures : le cas de Tours », dans Babelon Jean-Pierre, Guillaume Jean, Boudon Françoise et al., La maison de ville à la Renaissance : recherches sur l’habitat urbain en Europe aux XVe et XVIe siècles, actes du colloque tenu à Tours du 10 au 14 mai 1977, Paris, Picard, 1983, p. 9-24.
Guillaume Jean, « Le temps des expériences. La réception des formes « à l’antique » dans les premières années de ma Renaissance française », dans Guillaume Jean (ed.), L’invention de la Renaissance. La réception des formes « à l’antique » au début de la Renaissance, actes du colloque tenu à Tours du 1er au 4 juin 1994, Paris, Picard, (Collection De Architectura), 1994.
Liu Hou Yu, L’hôtel ancien, n° 27 rue du Cygne, mémoire de master histoire de l’Art sous la direction d’Alain Salamagne, Université François-Rabelais de Tours, [2009].
Toulier Bernard, « Les hôtels », dans Toulier Bernard (commissaire), « L’architecture civile à Tours des origines à la Renaissance », catalogue de l’exposition tenue à l’Hôtel de Goüin en 1980, dans Mémoires de la Société archéologique de Touraine, série in-4°, T. X, 1980.